Dans ce billet, je me penche sur la distinction souvent faite entre l’apprentissage de notions dites « pratiques » et celles dites « théoriques ». Les facultés de droit sont un terrain privilégié pour l’étude de cette distinction, puisqu’elles sont un passage obligé pour exercer certaines professions juridiques au pays ; l’apprentissage de notions « pratiques » jouit ainsi d’une place non négligeable dans les curriculums.
Le 31 juillet dernier, en apprenant que j’allais enseigner les ateliers d’intégration avec le professeur Mills, j’ai rapidement cherché à en apprendre davantage sur ses recherches. En quelques clics, je suis tombé sur son article publié dans la Revue de droit de McGill, The Lifeworlds of Law, qui se distingue de la doctrine juridique que j’ai l’habitude de lire. Suivant une méthode narrative et critique, le professeur Mills revient sur les différentes embuches rencontrées pendant ses études en droit et met en lumière le caractère nocif que peut avoir l’éducation juridique. Si ses pensées laissent transparaître des talents d’écriture et d’introspection remarquables, les phrases « I hated my first year of law school » et « I never learned to think like a lawyer » (Mills, 2016) ont eu tôt fait de me préoccuper : les ateliers d’intégration n’ont-ils pas comme objectif d’introduire les étudiants de première année aux rudiments de la pratique juridique ? Un professeur ayant une approche théorique et critique à l’égard du droit trouvera-t-il intuitif d’enseigner à rédiger un mémorandum ou un factum selon les standards de la pratique ?
Septembre venu, je fus vite rassuré par la rigueur avec laquelle le professeur Mills abordait la matière. Peut-être même que le professeur Mills sait plus réfléchir comme un avocat qu’il ne le croit. Avant chaque atelier, il dresse une liste d’éléments que les étudiants devront développer, comme l’identification des faits pertinents et des questions en litige d’un jugement ou encore les techniques de rédaction juridique. Son approche méthodique à la matière veille au développement chez chacun d’une boîte à outils permettant de réussir dans toutes les sphères du droit, qu’elles soient académiques ou professionnelles.
Or, l’apprentissage d’un savoir pratique brusque souvent les étudiants venus à McGill dans l’espoir de tirer profit d’une approche plus théorique à l’étude du droit. Leur malaise est d’ailleurs flagrant durant les ateliers d’intégration quand leurs commentaires portent moins sur l’identification des règles juridiques résultant des jugements que sur la remise en question de la valeur morale de ces règles. Cette observation fait d’ailleurs écho à bon nombre de discussions que j’ai eues avec des étudiants de première année qui, après à peine cinq semaines de cours, doutent déjà de leur capacité à se conformer à la rigueur de la méthodologie juridique ou, en d’autres mots, à réfléchir comme des avocats.
En réfléchissant à la réponse que je pourrais leur donner pour les encourager, je me suis rappelé les écrits de la professeure Matsuda que j’ai eu la chance de lire durant ma première année à la Faculté. Il m’était intéressant de puiser mon inspiration dans ce qu’une figure phare des Critical Legal Studies avait à dire sur l’éducation juridique. Dans When the First Quail Calls : Multiple Consciousness as Jurisprudential Method, elle explique que les étudiants qui ont habituellement le plus de difficulté avec le droit sont ceux qui essaient de trouver une logique dans la matière qui leur est proposée, de tout comprendre, « to make it all make sense » (Matsuda, 1992). Aussi provocante que puisse paraître cette idée, j’en conclus que pour bien entamer ses études en droit, mieux vaut apprendre à mettre en veille son analyse critique d’une situation et accepter, telle quelle, l’information qui nous est enseignée. Il faudrait désapprendre à critiquer ; un passage temporaire, mais obligé. La meilleure des critiques est celle qui touche le droit dans sa substance, c’est vrai, mais qui sait aussi s’exprimer selon le langage, les codes, et les procédures de la pratique juridique. Mes étudiants ont un obstacle de taille à surmonter. De mon côté, il me reste à savoir comment les accompagner dans leur désapprentissage.
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References
Mari J Matsuda, « When the First Quail Calls: Multiple Consciousness as Jurisprudential Method », Yale Law School Conference on Women of Color and the Law, présentée à l’École de droit de l’Université Yale, 1988 (1992) 11:1 Women’s Rts L Rep 297 à la p 298.
Aaron Mills, «The Lifeworlds of Law: On Revitalizing Indigenous Legal Orders Today » (2016) 61:4 RD McGill 847 à la p 849.
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